Miracle You - Entretien avec Emeline, sage-femme enseignante

Miracle You #1 – Emeline, sage femme “Enseigner a été ma renaissance”

Aline| 📅 19/08/2020

Cet interview est la toute 1ère de cette nouvelle rubrique : Miracle You

Une rubrique qui nous tenait clairement à cœur avec Maurianne. Une rubrique dans laquelle nous donnons la parole à toutes et tous. Parce que nous sommes toutes et tous différents mais c’est cela qui fait de nous des être incroyables. Parce que nous avons toutes et tous notre vision de la vie, notre vision du bonheur. Parce que nous avons toutes et tous nos vies et qu’en aucun cas, cela ne doit nous empêcher d’avancer la tête haute, de croire en nous et d’être fier de nous. 

Dans certaines interview de Miracle You, vous vous reconnaitrez. Dans d’autres, pas du tout. Mais cela n’est pas grave. Ce que j’espère surtout, ce que cela vous fera réagir. Que cela vous fera cogiter. 

Et que vous accepterez de vivre VOTRE vie. 

Cette 1ère interview que tu lis, c’est aussi la 1ère que j’ai mené. Je crois qu’Émeline et moi, nous étions aussi stressée l’une que l’autre : l’une de pas savoir ce qui l’attendait et l’autre… de décevoir. 

Et finalement… nous avons pris énormément de plaisir ! J’ai adoré l’écouter. Adoré pouvoir poser des questions pour en savoir plus. Adorer la découvrir. Adorer entendre une partie de son histoire. 

Alors tu sais quoi, même si personne ne vient lire ces témoignages, je m’en fiche parce que personnellement, cela m’a tellement apportée que je suis heureuse d’avoir osé me lancer dans cette aventure. 

Merci Émeline d’avoir été la 1ère à jouer le jeu, merci d’avoir répondu présente quand cette idée a germé dans mon cerveau suite à nos échanges emails. Merci de m’avoir fait assez confiance pour t’ouvrir à moi.

Émeline, je ne la connais pas en “vrai”. Elle fait partie de ces personnes magiques que j’ai “rencontré” grâce à la newsletter du dimanche de Feeling Food. Elle fait partie de correspondant.e.s 2.0 (ça me fait penser à nos correspondants quand on était en primaire… enfin, si tu es né.e après 2000 pas sûre que ça existait encore !). De ceux avec qui je partage un bout de vie tous les dimanches (et plus encore puisque avec Émeline, on s’envoie des emails/MP Instagram dès qu’on en ressent l’envie). 

Je te laisse découvrir cette 1ère interview, n’hésite pas à laisser un commentaire en bas de la page pour nous faire part de ton ressenti et en restant bien entendu bienveillant.e envers la personne interviewée. 

Emeline, qui est-tu ?

Je suis une jeune femme (je me considère encore jeune) de 43 ans, célibataire. Mais je me considère chargée de famille, puisque je me suis occupée de ma dernière petite sœur (j’en ai deux) et de mon papa au décès de ma maman il y a 10 ans. Je suis aussi une pro de santé, une sage-femme, qui adore son métier. Mais qui a du se ré-orienter déjà une fois.

J’ai eu, il y a une dizaine d’année, un pépin sur un pouce et je ne peux plus faire d’accouchement. Donc plutôt que de mettre les mamans et enfants en danger, j’ai décidé de me tourner vers l’enseignement : je suis sage-femme enseignante.

Cela te plait autant  ?

Il a fallu faire un deuil, mais cela a correspondu au moment où j’ai repris deux ans de Master en « Périnatalité, management et pédagogie » et en même temps, j’ai eu une équipe à charge (sage-femme, auxiliaires de puéri et aide-soignantes). Cela m’a forcé à faire la transition et à prendre conscience que je ne ferai plus les soins comme avant.

Mais déjà avant l’accident, j’avais déjà cette envie d’accompagner les futurs pro, sage-femme/médecin. Cette envie de transmettre. Le CHU où j’étais, Saint-Etienne, n’avait pas d’école de sage-femme rattachée. Du coup, l’idée de ma chef c’était que dès que j’ai mon master et dès que l’école ouvrirait, j’irai enseigner à l’école. Mais l’école n’a jamais ouverte.

Il a fallu que je m’adapte. J’ai postulé à Lyon, mais très compliqué quand on vient de Saint-Etienne. J’ai donc postulé à Strasbourg et Metz, j’ai donc été prise à Metz. J’ai dû quitter toute ma famille… J’avais 39 ans à ce moment là.

Tu as donc dû faire le deuil de ton métier et de ta famille ?

Oui, mais le fait d’enseigner ça a été la renaissance. J’ai pu véhiculer le savoir-être, le savoir-faire. Toutes les notions importantes pour moi : respect de la patiente (et du couple), la bienveillance, l’accompagnement, l’absence de jugement. C’est à dire qu’on prend les gens tels qu’ils sont, comment ils sont (dans le but est de les accompagner non pas de les changer, pour les amener à ce qu’ils veulent être), comment les parents va s’approprier les connaissances pour les adapter à leur environnement et à ce qu’ils sont eux.

Le travail de sage-femme va donc au delà de l’accouchement.

Oui, on s’occupe de la femme de la naissance jusqu’à la mort. On peut s’occuper des enfants jusqu’à 28 jours (alimentation, poids, consultations médicales, être à l’écoute et aussi conseiller).

“On s’occupe de la femme de la naissance jusqu’à la mort.”

La sage-femme est là pour être à l’écoute et vérifier que tout va bien. Si besoin, on renvoie vers les bons pro.

On fait tous les examens cliniques et para-cliniques (frottis, échographie, stérilet, pilule, implant, IVG médicamenteuse…). On est là pour dépister les moments où ce n’est plus normal.

On fait aussi les suivis grossesse et accouchement, ce qui est plus connu du public. Donc la préparation à la naissance. Mais aussi le suivi après accouchement de maman et bébé.

Sans oublier le suivi des femmes ménopausées.

Y a t’il des dispositifs spécifiques pour les femmes ménopausées ou en pré-ménopause ?

Il y a des formations à l’école pour les sage-femme mais pour le moment pas de dispositif pour les patientes pour les accompagnements dans cette période de leur vie.

Mais on essaie d’en parler au public qui vient nous voir pour leur expliquer que nous sommes aussi là pour ça, leur expliquer qu’on peut les accompagner là-dessus.

En tant que professionnels de la santé, quels regards vous portez sur les corps ?

Toujours un regard bienveillant et pro. On émet jamais un jugement tel qu’il soit. Nous ne connaissons pas l’histoire de nos patients, donc notre travail est d’essayer de la connaître pour les accompagner au mieux. 

On émet jamais un jugement tel qu’il soit. Nous ne connaissons pas l’histoire de nos patients, donc notre travail est d’essayer de la connaître pour les accompagner au mieux.

Il n’y a jamais rien de sexuel, même pour un sage-femme homme. La femme qui vient est une femme qui vient pour être écoutée, soignée. Ces corps sont toujours beaux, parce qu’ils ont une histoire. Et ce sont ces corps qui nous permette de comprendre ces histoires et de les aider à aller jusqu’au bout d’un projet.

Les patients viennent nous voir parce qu’ils ont pu ne pas voir un médecin depuis longtemps et nous, on va comprendre des choses vis à vis des corps, des histoires et des besoins. Ce qui va nous permettre de les accompagner le plus justement et sensiblement possible.

On aide les gens à se construire dans leur projet, à se reconstruire quand il y a eu un événement qui a pu perturber. Puis, quelques fois on les aide à se déconstruire pour reconstruire quelque chose de positifs. Mais, on le fait en s’adaptant toujours à la personne face à nous.

Même avec deux personnes similaires, nous ne ferons pas pareil. Nous sommes face à des personnes individuelles, avec des environnements différents, des vies différentes et nous allons les accompagner vers un chemin positif et propice à leur santé.

Est-ce que toi, grâce à ton travail, cela t’a permis d’avoir un regard positif sur toi ?

Oula, ça a mis longtemps… je crois que cela a commencé quand je me suis faite mal au pouce. J’avais toujours un regard positif et bienveillant sur les patients et je me suis rendue compte que pas forcément sur moi.

Le cheminement est toujours en cours, même si je sens que j’arrive sur la fin, et ça fait 10 ans.

Autant avec mes patientes j’étais dans la protection. Quitte à me construire une carapace, quitte à devenir obèse. J’étais maternante avec elles mais moi, je me niais. J’étais dans la négation. Je n’existait qu’en tant que professionnelle.

“J’étais maternante avec elles mais moi, je me niais.”

Je n’existais pas en tant qu’Émeline. J’étais la grande sœur, la maman de substitution, mais je n’étais pas moi.

Quand as-tu pris conscience de ça ?

Quand je suis partie à Metz. Que j’ai du changer d’environnement pro et familial.

Il y a beaucoup de choses qui se sont débloqués via à vis de moi à ce moment-là.

Comment tu t’es sentie par rapport à toi ?

De grands moments de solitude. Mais, ces moments de solitude m’ont permis de travailler sur moi. Oui, c’est facette là c’est moi, mais ce n’était que des facettes d’un tout.

Mais il ne fallait pas que je me vois morceler, mais que je me vois aussi comme une personne (pas un rein, un foi, un cœur…).

Autant nous sommes une agglomération d’organes qui doivent travailler ensemble ; autant émotionnellement, nous sommes une multitude de facettes qui font un tout.

“Autant nous sommes une agglomération d’organes qui doivent travailler ensemble ; autant émotionnellement, nous sommes une multitude de facettes qui font un tout.”

Comment ça c’est passé ? Cela a été une évidence ?

Oui, cela s’est fait naturellement.

Le fait de changer d’environnement familial et pro m’a fait dire je suis moi, je dois me redéfinir. Notamment vis à vis de mes nouvelles collègues, donc ça m’a permis de me poser et de me demander qui je suis, mon histoire, mon vécu, mes connaissances, mes compétences… et tout ça, ça fait de moi une personne, et j’ai l’orgueil de croire, une belle personne.

J’ai accepté de voir que j’étais une belle personne psychologiquement et dans mes valeurs, dans ma manière d’être avant de me trouver belle.

Aujourd’hui ? Tu te trouves belle ?

Oui, aujourd’hui je me sens belle.

Mon corps porte les stigmates de ce qui m’a défini, mais c’est comme ça, je l’accepte.

Mon corps a changé mais je suis restée qui j’étais.

Mes valeurs n’ont pas changé, ma façon de réfléchir n’a pas changé, ma façon d’aider les autres non plus…. et cette Émeline là, était cachée depuis tout ce temps. Et elle ose enfin se montrer.

Et ta jambe, on en parle ?!

Aie aie aie… suite à une mauvaise chute le 2 janvier 2020, un malaise vagal, je me suis méchamment cassée la jambe, tibia péroné, juste au dessus de la cheville.

Il a fallu opérer mettre du matériel pour consolider tout ça..

45 jours sans marcher.

Et une consolidation en cours, qui me paraît lente mais qui est normale vu la gravité de la fracture.

Le chirurgien m’avait dit «  je commence par un arrêt de 3 mois pour commencer. » et moi, j’ai effacé les mots « pour commencer ». Je suis restée à 3 mois. Comme quoi, on entend que ce qu’on veut.

Il a fallu que j’accepte de pas pouvoir faire tout ce que je voulais même si j’ai quand même essayé…. faire le ménage sur une jambe avec une béquille d’un côté et la serpillère de l’autre…

En même temps, personne ne faisait le ménage sauf moi et j’ai dû le faire.

II a fallu que j’accepte de devoir tout faire assise et il m’a fallu vraiment longtemps pour accepte de faire que ce que je pouvais et comme je pouvais le faire avant.

Comment cela s’est passé psychologiquement ?

Ben écoute, j’ai effacé de ma mémoire le côté difficile pour ne garder que le fait que ça va bien.

Finalement, si on oublie le temps d’adaptation au milieu, les étapes, ça va beaucoup mieux aujourd’hui qu’au départ ! Finalement, si on regarde le parcours, on voit le début, puis aujourd’hui et le milieu… et bien on l’oublie !

C’est comme les sportifs de haut niveau… ils réussissent et on va oublier les entraînements et les efforts qu’ils font toute l’année (mais je ne suis pas sportive de haut niveau – rires).

A la reprise d’appui, j’ai développé une complication : une algodystrophie.

C’est nerveux, circulatoire, émotionnel et ça se traduit par des douleurs extrêmement invalidantes au niveau de la jambe, à tel point que je ne supporte pas qu’on touche ma jambe. 7 mois après, je marche toujours à l’aide de béquilles, je ne peux pas conduire et ma cheville n’est toujours pas mobile.

Cela risque de perdurer.

Comment tu te sens par rapport à cela ?

Je suis de nouveau en déséquilibre.

Je suis à la période où je me demande si je vais pouvoir reprendre ma vie comme je l’ai vécue. Est-ce que je vais pouvoir reprendre ma vie d’avant ou est-ce que je vais basculer vers un handicap et devoir réajuster ma vie ?

Et comment tu te sentirais si tu devais réajuster y a vie ?

C’est difficile mais j’en prends conscience quand même et je commence à ajuster tout ça.

Au niveau de vie professionnelle, je pense que c’est envisageable mais il va falloir des arrangements. Je réfléchis à comment je peux mettre en place tout ça et voir comment organiser tout cela avec l’école avec laquelle je travaille et la médecine du travail en parallèle.

Accompagner les femmes sur la période de la ménopause (avant/après), c’est quelque chose qui m’intéresse. Parce que ce sont des personnes qui ont de la valeur, qui méritent autant d’attention qu’une femme qui porte ou va donner la vie.

Ces femmes là nous ont appris des choses, transmis des choses et si on en est où on en est aujourd’hui, c’est parce qu’elles ont existé. Et les accompagner et prendre soin d’elles, c’est un peu leur rendre tout ce qu’elles nous ont donné.

Ces femme là, elles ont toute autant de valeur à mes yeux que toute autre femme. Et leur corps qui changent méritent d’être pris en charge tout comme un autre corps qui changent à d’autres moments de vies (adolescence, grossesse, etc).

En tant que sage-femme, on peut être là aussi à ce moment-là. Mais pour moi en tout cas, c’est plus facile à envisager quand on a un peu avancé dans sa carrière.

Je vais me sentir plus légitime, c’est là qu’on va se donner le droit de la prendre en charge parce que on ne va pas imaginer que la patiente ne nous semble pas capable de. Même si la sage-femme est compétente peu importe son âge.

C’est moi qui me suis mise des freins alors que ce soit moi, en étant que pro, ou la patiente, aucune de nous deux ne va juger. C’est la compétence et mon expérience qui vont être importante. Mais j’avais du mal à m’autoriser à accompagner sur ce temps de vie.

Mais aujourd’hui, je me sens prête. Prête à accompagner les patientes mais surtout mes étudiantes à lever ce frein qui a pu me bloquer. Ou à pas se le mettre tout court.

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